Le blogue du Québec maritime
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Parc national de Miguasha, Gaspésie
Robert Baronet
Le parc national de Miguasha : lorsque les poissons régnaient sur le monde
Des torrents descendent des Appalaches en direction d’une mer scintillante. Près de la côte, le vent agite doucement les branches des arbres, assurant des zones d’ombre sous les chauds rayons du soleil. Les vagues viennent mourir sur la plage, dans un bruit de ressac apaisant. Dans l’eau, les poissons foisonnent. À première vue, on pourrait se croire dans l’un des nombreux paysages côtiers enchanteurs de la Gaspésie. En fait, on y est… mais il y a 380 millions d’années, en plein cœur du Dévonien. Comprendre ce qui peut bien nous lier à ce mystérieux monde perdu, c’est ce que le parc national de Miguasha propose à ses visiteurs, grâce à ses fossiles d’une valeur universelle exceptionnelle.
Un peu d’histoire
Le Dévonien, période géologique peu connue du grand public, s’étend sur 60 millions d’années qui se sont révélées déterminantes dans le cours de la vie sur Terre. Pour comprendre cette période, aucun site fossilifère au monde n’est considéré plus important que le parc national de Miguasha, niché en bordure de la baie des Chaleurs. Preuve de son caractère exceptionnel, le parc est inscrit depuis 1999 sur la prestigieuse Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Lors d’un passage en Gaspésie, un arrêt dans ce haut lieu de la paléontologie est une source d’émerveillement assuré.
Grâce à l’abondance de ses fossiles remarquablement bien préservés, le site de Miguasha documente un écosystème complexe associé à un ancien estuaire qui s’étendait alors au pied des Appalaches, nouvellement formées au Dévonien. À l’époque, les sédiments arrachés de ces montagnes s’accumulent au fond de l’estuaire, emprisonnant du même coup les végétaux, invertébrés et poissons qui y vivent. Aujourd’hui retrouvés à l’état de fossiles dans la falaise du parc, ces restes renseignent sur la vie au Dévonien.
De quoi avait l’air ce monde? À l’époque, les premières forêts primitives s’implantent le long des cours d’eau. Sous ce couvert forestier, aucun amphibien, reptile, oiseau ni mammifère n’est encore présent. Seuls les scorpions, mille-pattes et araignées foulent le sol pour l’instant. Dans les eaux, une étrange faune de poisson règne en maître.
C’est dans ce contexte biologique que se prépare en douce l’une des grandes révolutions de l’histoire de la vie : la transition de la nageoire à la patte, puis la colonisation de la terre ferme par les tétrapodes, ou vertébrés à quatre pattes. Les tétrapodes, englobant notamment aujourd’hui des formes aussi variées que les grenouilles, tortues, oiseaux, humains et baleines, sont tous les descendants des premiers vertébrés de la Terre, les poissons.
Au fil des décennies de recherches scientifiques sur le site fossilifère, certaines espèces de Miguasha sont devenues des emblèmes de la paléontologie et se distinguent par leur importance dans la compréhension de ce chapitre marquant de l’évolution. D’autres encore ont livré depuis peu des nouveaux spécimens de conservation exceptionnelle, destinés à la recherche et l’éducation. Voici quelques fossiles vedettes que vous pourrez admirer lors de votre visite.
Eusthenopteron foordi
Surnommée le prince de Miguasha, cette espèce est l’ambassadrice scientifique du site depuis plus d’un siècle, car elle possède des caractéristiques anatomiques surprenantes. Par exemple, l’ossature interne de ses nageoires paires avant, appelées nageoires pectorales, est similaire à celles du bras et de l’avant-bras des tétrapodes, et donc aussi des humains. Pour ces raisons, Eusthenopteron a été le modèle principal utilisé par les paléontologues tout au long du 20e siècle pour souligner la parenté entre les poissons et les tétrapodes. Certains des plus beaux spécimens d’Eusthenopteron retrouvés sur le site se dévoilent sous le regard fasciné des visiteurs dans les salles d’exposition du parc.
Elpistostege watsoni
Depuis quelques années, la vedette incontestée d’une visite à Miguasha est Elpistostege watsoni, surnommé « Elpi ». Connue depuis 1937 grâce à quelques rares fragments découverts sur le site, cette espèce est enfin mieux documentée depuis la découverte d’un impressionnant spécimen complet de 1,6 m de longueur, maintenant exposé au parc.
Bien que son corps soit recouvert d’écailles et qu’il présente des nageoires comme les autres poissons, Elpi possède également presque tout l’attirail des premiers tétrapodes : orbites situées sur le dessus d’un crâne aplati, museau allongé et narines externes qui devaient communiquer avec des poumons. Mais la caractéristique la plus spectaculaire d’Elpi est cachée dans ses nageoires paires avant qui présentent une ossature interne quasi identique à celle des tétrapodes : humérus (bras), radius et ulna (avant-bras) comme son cousin Eusthenopteron, mais aussi carpes (poignet), métacarpes (main) ainsi que phalanges organisées en doigts! Cette caractéristique fait d’Elpistostege le poisson le plus proche des premiers vertébrés terrestres. Aujourd’hui, quelque 30 000 espèces d’amphibiens, de reptiles, d’oiseaux et de mammifères — incluant l’humain — possèdent dans leurs membres les mêmes éléments osseux que ceux présents dans les nageoires d’Elpi.
Quebecius quebecensis
La collecte sur le site continue de fournir annuellement de nouveaux spécimens exceptionnels. Un exemple récent : la découverte d’un superbe Quebecius quebecensis, l'une des espèces de poisson les plus rares à Miguasha (38 spécimens seulement sur un total de quelque 16 200 fossiles en collection). Cette pièce unique, préservée en 3D, sera ajoutée en exposition en 2023.
Venir visiter le parc national de Miguasha permet de connecter avec nos lointaines origines aquatiques d’il y a 380 millions d’années. La panoplie d’activités offertes à la falaise, dans les salles d’exposition et au laboratoire pédagogique offre aux petits et aux grands la possibilité de découvrir, et même de vivre, le travail du paléontologue et de saisir à quel point les fossiles demeurent à ce jour la meilleure machine à voyager dans le temps!
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